Le mouvement du métal :

L’automne, le poumon, la couleur blanche

En médecine chinoise, l’art de nourrir la vie (le Yang Sheng) est une discipline à part entière, étroitement liée à la théorie médicale traditionnelle. Elle regroupe l’ensemble des pratique qui permettent d’entretenir le corps et l’esprit, fortifier l’organisme, prévenir les maladies et prolonger la vie, associant des pratiques alimentaires, gymniques, respiratoires ou sexuelles destinées à s’ajuster aux rythmes universels, et en particulier aux quatre saisons

En fait, Yang Sheng se situe bien au-delà de pratiques d’hygiène physico-psychique, il s’agit de nourrir sa vitalité, son potentiel vital, de se ressourcer instant après instant. C’est le cœur même de la sagesse chinoise qui est condensé dans cette expression : « nourrir sa vie ». Le même verbe chinois Sheng signifie à la fois vivre, naître, engendrer, pousser et s’élever, comme la végétation pousse et s’élève au printemps. Il s’agit de cultiver la vie comme l’agriculteur cultive son champ (la Chine est terre d’agriculteurs). 

Yang sheng, c’est nourrir la vie en soi, déployer son élan vital, de manière naturelle, en suivant le Dao, le grand rythme du monde.

L’automne

Le Nei King Su Wen, l’ouvrage de référence des médecins acupuncteurs, dont la transcription écrite date de plus de 3000 ans, indique que pour garder la santé, il faut se conformer au rythme des saisons.

« Les 3 mois d’automne évoquent un palier. Ils sont appelés ajuster l’équilibre. Comme les poules, on se couche tôt [1] et on se lève tôt[2]. On se veut d’humeur sédentaire pour pallier les rigueurs de l’automne. On recueille ses esprits, on rassemble ses souffles, on ne laisse pas son vouloir se disperser à l’extérieur[3]. On s’abstient de pensées aberrantes pour que le souffle du poumon reste pur. La Voie correspondante est de soigner la récolte. Aller à l’encontre blesse le poumon. » (Su Wen, livre 1, chapitre 2)

En médecine traditionnelle chinoise, l’automne est la saison où le Yang commence à décroître.

L’automne est une saison de transition. Les journées sont plus courtes, le temps est moins clément et la nature ralentit. C’est la saison des récoltes, du ramassage, de la descente des souffles du Yang vers le Yin, du ciel vers la terre, « en automne, le ciel se retire, la terre et l’homme resplendissent de paix, de clarté et de tranquillité ».

C’est un mouvement d’accueil et de mise en ordre, d’équilibre, et c’est également un mouvement de descente, d’abaissement, d’intériorisation du Yang vers le Yin.

S’harmoniser avec le mouvement de l’automne, c’est retourner vers l’intériorité., le recueil, la contemplation.

Les caractéristiques de l’élément automne

L’automne est lié à l’élément métal, au poumon (et à l’ensemble de l’appareil respiratoire le nez, la gorge, le larynx), à la respiration, au gros intestin, à la peau, au toucher. La saveur associée est la saveur piquante, âcre, la couleur associée est le blanc, le symbole est le tigre blanc. Son climat associé est la sécheresse. L’organe des sens qui lui correspond est l’olfaction.

En MTC, les maladies ont deux causes principales, les causes externes : les facteurs alimentaires et les facteurs climatiques (agression par le vent, le froid, l’humidité) et les causes internes, émotionnelles (tristesse, deuil, chagrin, sentiment d’échec…) Ces émotions entravent la circulation énergétique dans le système poumon.

Le poumon

Le poumon est le « premier ministre » du cœur qui lui est l’empereur. Il est « maître du souffle » : il contrôle également les mouvements du Qi dans le corps (montée, descente, entrée, sortie) grâce à la respiration. Le Qi circule sous deux formes : une forme Yin qui circule en profondeur, dans les méridiens, les vaisseaux et qui nourrit les organes, et une forme yang qui circule en surface : l’énergie défensive Wei Qi.

Il contrôle l’énergie, en particulier l’énergie défensive Wei Qi qui assure la protection de l’organisme. Il est responsable avec le rein (et aussi la rate, indirectement) de notre immunité. En effet, le qi de l’air (c’est-à-dire l’énergie extraite de la respiration) se joint au Qi des aliments (l’énergie extraite des aliments) et forme l’énergie première, appelée Zong Qi, dont découlera toutes les autres formes d’énergie (d’où l’importance d’une bonne respiration). Le poumon va ensuite «diffuser et faire descendre le Qi et les liquides » vers les reins et ensuite, à partir des reins, la diffuser par l’intermédiaire des fascias, à tout notre corps, vers la peau et les muscles. Ensuite, par la respiration, le poumon va réguler la circulation du Qi dans tout le corps.

L’inspiration est contrôlée par les reins qui « agrippent » le Qi du poumon vers le bas. Le Qi du poumon, en descendant, permet de :

    • Faire descendre le Qi clair de l’air inspiré
    • Faire descendre le Qi trouble des liquides qui seront éliminés dans les urines ou les selles
    • Faire descendre l’énergie essentielle (la quintessence, le Jing) des aliments pour permettre leur diffusion dans le corps.

    Quant à l’expiration, elle est contrôlée par le poumon qui aspire le Qi des reins vers le haut. Les deux mouvements opposés et combinés du Qi du poumon et du Qi du rein constituent la respiration énergétique. Quand la fonction du poumon est normale, l’air circule librement. Quand un pervers climatique arrive à passer la barrière défensive du corps et affaiblit le poumon, la descente naturelle du QI est perturbée ainsi que la diffusion des « liquides organiques » dans le corps. L’humidité et les mucosités s’accumulent, d’où la toux, l’expectoration ou l’essoufflement.

    Si l’énergie du poumon est faible, l’organisme pourra être atteint par les « énergies perverses » externes comme le froid, le vent, l’humidité qui vont s’accumuler dans le corps entrainant toux, écoulement nasal, essoufflement. C’est pour cela qu’il est important de stimuler l’énergie des poumons en fin d’été et début d’automne pour prévenir les affections respiratoires. En MTC, l’organe couplé au poumon est le gros intestin. Or nous savons maintenant toute l’importance du microbiote intestinal dans l’immunité. Des expériences en acupuncture ont d’ailleurs montré l’augmentation de l’immunité par la stimulation du point Ge Shu, 17V, point spécial du sang et de l’immunité, situé entre la septième et la huitième dorsale, au niveau de l’extrémité inférieure de l’omoplate. C’est aussi le point de commande du diaphragme. On retrouve là toute l’importance de ce muscle : lors de tout exercice respiratoire avec concentration sur ce point (Yi), l’activité du diaphragme est renforcée, donc l’immunité.

    La gorge est appelée « porte des poumons » et « le palais des cordes vocales ». Une voix puissante et timbrée traduit un Qi du poumon fort, alors qu’une déficience des poumons pourra se traduire par une voix faible, geignarde.

    Le poumon « gouverne la peau », contrôlant l’ouverture et la fermeture des pores donc la transpiration. C’est de cette manière qu’il régule la température corporelle.  L’énergie des poumons est en relation à l’extérieur avec la peau et les poils. Une peau sèche, eczémateuse peut être liée à un déficit d’énergie des poumons. Le poumon est atteint par la tristesse, la mélancolie, le deuil, l’affliction, le sentiment d’injustice qui peuvent entrainer des pathologies respiratoires.

    La vertu qui lui correspond est la justice. (Ainsi un sentiment d’injustice peut entraver l’énergie du poumon.)

    Recommandations sur le plan général

    On recourt à l’acupuncture, l’alimentation, et les plantes pour régulariser l’énergie.
    La respiration profonde et la pratique Qi Gong renforcent le Qi du poumon. Par ailleurs, le travail sur le souffle est le plus important pour garder la clarté du cœur, la clarté du Shen et réguler nos émotions.

    Une alimentation en accord avec la saison permettra d’éviter les refroidissements, rhumes, bronchites, ainsi que les pathologies intestinales. Il est important de privilégier une alimentation locale et de saison ; il est préférable de manger chaud (cuisson au wok)

    • Légumineuses : pois, pois cassés, lentilles, haricots secs, pois chiche, fèves
    • Légumes racine : betterave, navet, pomme de terre, carotte, céleri
    • Céréales : blé, riz, millet, quinoa, sarrazin (en farine et/ou en grains)
    • Fruits secs : noix, amandes
    • Poissons des mers froides
    • Sésame

    Un jeûne est tout à fait bénéfique (jeûne intermittent, jeûne régulier, mono-diète).

    Exercices de Qi Gong

    • Le souffle associé à l’automne est le souffle Si. On expire bouche à peine entr’ouverte, la pointe de la langue est proche des dents, le souffle prend la forme d’un long soupir, on relâche le gril costal, ce qui aide le mouvement d’abaissement et d’intériorisation des poumons.
    • Le travail de la respiration consciente est essentiel : détente du corps puis simple respiration lente et profonde accompagnée ou non par les mouvements des bras (lever les bras puis les laisser retomber en expirant) ; les exercices de pranayama du yoga sont indiqués particulièrement en cette saison.
    • Massage : du méridien du poumon et du gros intestin ; percussion du thorax ; massage de la zone sous claviculaire ; massage des poignets.
    • Automassage des points 12V, 13V, 4GI, 17RM,2P.
    • Étirement des méridiens du poumon et du gros intestin.
    • Qi gong de la grue.
    • Qi gong pour le poumon.
    • Dans les Ba Duan Tin, le mouvement « viser un aigle au loin » tonifie le qi du poumon.
    • « L’immune boost Qi Gong » de maître Liu He tonifie les poumons.
    • Le Zhi Neng qi gong a une action sur l’énergie des poumons.

    Les plantes

    • L’aromathérapie (eucalyptus, raventasra.)[5] 
    • L’astragale de chine elle stimule le Wei Qi, notre immunité, est tonique du Qi et du Yang, est adaptogène : en tisane ou en gélules [4]

    Conclusion : le mouvement de l’automne, si on veut bien s’y harmoniser par ces pratiques respiratoires et ces exercices corporels, nous permet de déployer notre santé en accueillant en soi le mystère de notre respiration, d’inspir en expir, du premier cri au dernier souffle.


    Notes de Bas de page

    [1] Pour favoriser le retour au yin

    [2] Pour bénéficier de l’élan du yang

    [3] C’est à cette condition que le souffle de l’automne, recueilli par les poumons pourra garder sa pureté, c’est à dire sera en mesure d’offrir aux 12 méridiens une énergie et des liquides intimement adaptés à la nutrition, l’irrigation et la clarification du corps.

    [4] D Georget-Tessier, « Mon petit guide d’aromathérapie pour booster l’immunité » , 2021

    [5] D. Georget-Tessier, « Les secrets d’une immunité victorieuse » 2021


     

    Bibliographie

    Eyssalet JM : « La médecine chinoise, santé, forme, diététique », Odile Jacob 2010

    Augier S : « Encyclopédie pratique du Tao », Flammarion,2018

    Georget-Tessier D : « Les secrets d’une immunité victorieuse », autoédition

    Ke Wen et Liliane Papin : « Les trésors de la médecine chinoise pour le monde d’aujourd’hui », le Courrier du Livre, 2016

    Jullien F : « Nourrir sa Vie : à l’écart du bonheur », Seuil 2005